jeudi 24 juin 2010

Anny Ondra, clown en jupons






Le voile de l’oubli a peu à peu estompé l’image de la blonde et vaporeuse actrice tchèque Anny Ondra dont la renommée fut portant très grande pendant les années 20 et 30, dans toute l’Europe.
Comique en jupons, se tirant des situations les plus inextricables, la vivace blonde platinée annonçait avec plus de 10 ans d’avance les héroïnes américaines des screwballs comédies.

Fille d’un officier impérial de l‘empire austro-hongrois, Anny Ondra est née en Pologne en 1902 avant de s’installer à Prague avec ses parents. Fascinée par le théâtre et la danse, la jeune fille suit des cours de comédie. Remarquée par le réalisateur Gustav Machaty (qui fera plus tard de sa compatriote Hedy Lamarr une star internationale avec le film Extase), Anny obtient en 1919 un rôle dans la comédie policière « la fille aux petits pieds » , malgré la vive opposition de ses parents, furieux que leur fille se dévergonde en épousant le métier de saltimbanque. La grâce et la beauté de la toute jeune actrice ne laissent pas indifférents son partenaire le talentueux Karel Lamac, séducteur à l’écran mais aussi réalisateur, directeur technique et scénariste. Il lui propose le rôle principal de son nouveau film « Gilly découvre Prague », une farce qui va faire des deux acteurs le couple de rêve du cinéma tchèque. Entre les deux artistes, les liens d’abord strictement professionnels vont rapidement prendre un tour beaucoup plus intime…à la grande colère du père d’Anny Ondra.
En tous les cas, les deux comédiens vont enchaîner les films, parfois sous la direction d’un autre réalisateur . Anny Ondra y rode son personnage de jeune femme infantile et irresponsable qui cumule les gaffes et dévoilant dès que l’occasion se présente ses adorables gambettes.


Inutile de préciser que beaucoup de ces films muets sont à ce jour considérés comme perdus, et qu’il n’en subsiste que quelques clichés (seul fille d’Ève1928) est disponible en DVD). Alors que le cinéma tchèque connaît une mauvaise passe, le couple fonde une société de production la Kalosfilm qui va vite s’avérer lucrative : le film « Paradis blanc »1924 est un tel succès en Allemagne que la vedette tchèque y est conviée pour quelques tournages (Ich liebe dich de Paul Stein avec Liane Haid). Rappelons qu’à cette époque Berlin était la Mecque du cinéma européen. Le comte Sacha Kolowrat, grand producteur de cinéma autrichien (qui découvrit notamment Marlène Dietrich, Michael Curtiz et Alexander Korda) et amateur de jolies femmes convia également Anny à Vienne pour « die pratermizzi -1927 » charmante pâtisserie viennoise, qui possède la charme et la légèreté des opérettes de Lehar un scénario de Walter Reisch qui connut ensuite la consécration à Hollywood (Ninotchka).

Si l’on se réfère à la presse de l’époque, Velbloud uchem jehly (1926) serait le meilleur muet d’Anny Ondra, une comédie sophistiquée sur l’histoire d’amour impossible en le fils d’un industriel et une mendiante. En 1927, Anny Ondra joue pour la dernière fois aux cotés de Karel Lamac dans la fleur des bois. Avec son ukulélé et sa coiffure à la garçonne, la pétillante blonde est à la pointe de la mode : on ne peut en dire autant de son compagnon qui a beaucoup forci : il se réfugiera dorénavant derrière la caméra. Sa nouvelle réalisation, Suzy saxophone (1928), est un tel succès international, qu’il fera l’objet d’un remake parlant 4 ans plus tard (Baby). Anny est réclamée jusqu’en Angleterre où elle signe un contrat pour 4 films, dont deux sous la direction d’Alfred Hitchcock. Le fameux réalisateur saura très bien utiliser le charme et la présence de la comédienne qui sera la première blonde dans la filmographie du cinéaste. Le film policier Chantages (1929) sera d’ailleurs un immense succès commercial qui sera d’ailleurs plus bénéfique au réalisateur qu’à la star. Très handicapée par son accent slave, Anny Ondra s’avère incapable de lire correctement ses répliques lors de la sonorisation du film, et sera donc doublée pour cela. Il subsiste d’ailleurs un étonnant bout d’essai où le cinéaste goguenard propose à la star catastrophée d’écouter ses essais en anglais avant de lui lancer quelques grivoiseries! (à savourer sur youtube).
De retour en Allemagne, le destin de la star va connaître alors un tournant décisif : elle rencontre lors d’une première Max Schmeling, le premier boxeur européen sacré champion du monde poids lourds le 12 juin 1930 après avoir battu l'américain Jack Sharkey. Entre la blonde vedette de cinéma et l’idole des rings, qui partageait la vie de la star russe Olga Tschechowa, c’est le coup de foudre.
Très curieusement, la vedette tchèque va néanmoins poursuivre assidûment sa collaboration professionnelle avec son ex-compagnon Karel Lamac avec lequel elle vient de fonder une nouvelle société de production en Allemagne. Pourquoi mettre fin à une formule qui gagne? Auréolée par la publicité incroyable que lui confère son idylle avec Schmeling, Anny est plus populaire que jamais et ces films parlant tournés en langues multiples dans les studios berlinois triomphent (et même en version muette pour les salles non équipées). C’est Pierre Billon qui se charge de co-réaliser les versions françaises. Même si ce film a beaucoup vieilli, Anny au music hall (1930)comporte deux ou trois scènes désopilantes qui vaudront à la star de flatteuses comparaisons avec les Marx brothers (notamment la célèbre scène où la star essaie de jouer un air sur un piano complètement déglingué qui se démantibule sous ses doigts). Le très court passage où Anny danse sur les touches d’un piano géant inspirera plus d’un musical d’Hollywood comme trois jeunes filles en bleu).. Ce qui fait l’intérêt de ces comédies, c’est leur inventivité, leur absence de prétention : la naïveté d‘un cinéma musical balbutiant où l‘on pouvait tout essayer. On y rit simplement comme dans un spectacle de fête foraine : bien avant Lucille Ball ou Carole Lombard, Anny Ondra prouvait que l’on pouvait faire rire aux éclats tout en restant extrêmement jolie.
Baby (1932) charmant remake de Suzy saxophone, comporte beaucoup de gags visuels testés et approuvés à l’ère muette. Mais c’est Kiki (1932) qui demeure pour Anny Ondra son meilleur souvenir et son plus gros succès commercial. Remake d’un film de mary Pickford (qu’Anny admirait infiniment). Son humour pince sans rire et ses acrobaties lui vaudront cette fois d’être qualifiée de Buster Keaton en jupons!
En 1933, Anny Ondra épouse Max Schmeling pour la plus grande joie de ses fans. Le couple le plus célèbre d’Allemagne est fréquemment invité chez Hitler et Goebbels qui viennent d’accéder au pouvoir et compte bien utiliser le sportif qui a réussi à battre un américain et la jolie blonde dans leur entreprise de propagande. On prétend même qu’Hitler était très attiré par la vedette tchèque et qu’Eva Braun en était fort jalouse.
Pourtant si Max Schmeling s’est effectivement rendu à plusieurs dîners chez le dictateur, il ne partageait nullement l’idéologie nazie et à la grande fureur du führer et n‘a jamais adhéré au parti nazi.
Jusqu’à la fin des années 30, Anny Ondra va poursuivre sa carrière au cinéma dans des comédies légères souvent mises en scène par son vieux complice Karel Lamac qui a parfois tendance à se répéter. Néanmoins, ce dernier ne manque pas d’idée pour les gags visuels, en témoigne la fameuse scène de la fille du ballet (1937) où la robe d’Anny est soulevée par le souffle d’une bouche d’aération …qui sera reprise près de 20 ans après par une autre blonde platine : Marilyn Monroe (7 ans de réflexion). Le cinéaste tchèque, loin d’être apprécié par les nazis, préfère s’exiler en Angleterre. Sans son mentor, la carrière d’Anny Ondra va vite péricliter d’autant plus vite que Max schmilblick vient de se faire battre par un noir américain lors des championnats du monde de 1938. Une vraie claque pour les nazis. Tombé en disgrâce, Schmeling est envoyé au front sans aucun régime de faveur, et sera grièvement blessé lors de combats. Anny Ondra ne tournera que deux films pendant la guerre : Dans le petit homme (1941) , elle n’est que le faire valoir d’ Heinz Rühmann, l’acteur comique le plus aimé d’Allemagne.
Après la guerre, le célèbre couple sera blâmé pour les bonnes relations qu’il entretenait avec les Goebbels. Pourtant, on appris bien des années plus tard qu’ils avaient caché chez eux deux enfants juifs en 1938, et œuvré pour qu’ils puissent quitter l’Allemagne sains et saufs.
Quant à Anny, elle tentera un come back en 1951 dans la beauté mène la danse où elle tient le rôle d’une ancienne vedette jalousée par une plus jeune : nul doute que les producteurs comptait davantage sur cette dernière (Sonja Ziemann) pour attirer le public. Anny passera le reste de sa vie dans l’ombre de son boxeur adoré. Devenu patron de Coca Cola en Allemagne du nord, il était réputé pour sa générosité et ses activités philanthropiques (il aidait financièrement son ancien adversaire Joe Louis tombé dans la misère). Si Anny Ondra nous a quitté en 1987, Max Schmeling est décédé en 1997 à 99 ans.
Le couple célèbre inspira par deux fois des téléfilms. Dans l’un d’eux Britt Ekland incarnait Ondra. Si l’on veut retrouver le tandem authentique, pourquoi ne pas se procurer le film qu’ils tournèrent ensemble en 1935 : Knock out, disponible en DVD en Allemagne.
Si beaucoup des films de Miss Ondra sont évidemment datés et pêchent par des maladresses techniques, ils serait néanmoins bon de redécouvrir tout le talent de cette fantaisiste blonde, délicieuse femme enfant et clown en jupons. Un documentaire figurant ses meilleurs gags rendrait un bel hommage à une artiste si injustement oubliée en France.