jeudi 9 décembre 2010

Marilyn Monroe, divine et vulnérable






Depuis que je tiens ce blog consacré aux vedettes du cinéma musical du monde entier, j’ai reçu plusieurs MP d’internautes s’étonnant de l’absence de Marilyn Monroe, alors que tant d’actrices mineures et sombrées dans l’oubli étaient évoquées. Compte tenu de la dimension mythique de la star, il est vrai que je ne savais comment ébaucher ce portrait d’une artiste à laquelle d’innombrables ouvrages ont été consacrés dans le monde entier. Aussi, je prends mon courage à deux mains et je me lance !!

Née en 1926 de père inconnu (un homme marié) et d’une maman monteuse à la Columbia puis à la RKO, Norma jean Mortenson a connu une enfance très malheureuse. Souffrant de graves troubles psychologiques, sa maman est contrainte de placer la fillette à l’orphelinat et dans des foyers. Le cinéma et le star system (notamment Ginger Rogers) lui permettait de s’évader de la réalité. Pour échapper à l’internat, elle se marie très jeune puis pose pour des photos dénudées. Remarquée par Ben Lyon, acteur des années 30 et époux de Bebe Daniels,(qui la rebaptise Marilyn en hommage à Marilyn Miller star des années 20) elle décroche un bout d’essai et un contrat à la Fox. Mais ses figurations sont coupées et l’aspirante vedette a du mal à s’imposer, et prend des cours de comédie et gagne sa vie comme call girl. Elle décroche enfin un rôle de stripteaseuse dans un musical de série B où elle gazouille sensuellement deux chansons. Grâce au soutien du producteur Joseph Shenck, la jolie Marilyn, dont le nez a été corrigé par la chirurgie esthétique, déniche quelques rôles de ravissantes idiotes ; elle participe à des films aussi prestigieux qu’Eve (1950) ou Quand la ville dort qui vont constituer des tremplins de choix pour sa carrière. Après l’avoir longtemps négligée, le patron de la Fox, Darryl Zannuck semble enfin prendre conscience du potentiel de la blonde, en lui confiant des rôles de plus en plus importants, et en déclenchant une vaste campagne publicitaire pour mettre en valeur le charme et la sensualité de la nouvelle bombe. Il maîtrisait parfaitement cet aspect commercial, car il avait beaucoup contribué à l’énorme popularité de la pin up Betty Grable pendant la guerre. Néanmoins, il paraissait évident que les jours de gloire de la cocasse pin up girl de 35 ans étaient comptés et qu’il fallait lui trouver une remplaçante plus jeune pour Les hommes préfèrent les blondes. Les méthodes de la Fox pour fabriquer une star populaire étaient très rodées : elle se devait d’être blonde et sexy comme Betty mais néanmoins attachante et gentille (comme la douce Alice Faye) pour ne pas repousser le public féminin. Les films étaient souvent des remakes de productions qui avaient déjà fait leurs preuves auparavant (par exemple, Comment épouser un milliardaire avait connu 3 précédentes moutures auparavant). Doit on en déduire que Marilyn Monroe est un pur produit manufacturé, calibré et testé, pour atteindre le plus grand nombre ? Partiellement sans doute ; c’est néanmoins, sa fragilité et sa vulnérabilité palpables dans la moindre de ses comédies qui la rendent profondément humaine et vont faire d’elle la superstar que l’on sait.
Le scandale causé par la publication d’anciennes photos nues dans un calendrier va contribuer au succès de la blonde actrice qui brille d’un vif éclat dans les hommes préfèrent les blondes ; de par sa sensualité et sa voix douce et sexy (mais partiellement doublée pour certains passages par Marni Nixon), elle s’impose d’emblée dans les célèbres passages musicaux extrêmement glamour et sophistiqués de ce film ultra connu (diamonds are the girl best friend), qui inspirent encore et toujours les chanteuses d’aujourd’hui. Alors qu’Alice Faye et Betty Grable avaient été cantonnées aux films musicaux, la Fox va promouvoir la blonde vedette aussi bien dans des westerns (la rivière sans retour) que des drames (bus stop). Pour beaucoup de cinéphiles, ces quelques titres évoquent l’âge d’or d’un cinéma qui continue de fasciner ; Si à l’occasion, Marilyn Monroe fredonne un ou deux couplets dans ses films non musicaux, elle est souvent doublée par différentes chanteuses plus expérimentées. Cela ne l’empêchera pas d’enregistrer quelques rares 45T pour la firme RCA.
Dans le genre cinématographique qui nous intéresse ici(le film musical bien entendu!!), Marilyn a joué dans une superproduction basée sur les compositions d’Irving Berlin « la joyeuse parade »-1954 où figure un de ses numéros les plus sexy « heat wave ». Dans un ciné-club où je l’ai revu il y a 10 ans, des spectatrices un peu jalouses signalaient que sa partenaire Mitzi Gaynor était dotée d’une silhouette plus gracile. La critique de l’époque ne fut pas plus enthousiaste et jugea sa prestation « embarrassante ». Marilyn est plus à l’aise dans la merveilleuse comédie de Billy Wilder certains l’aiment chaud, où elle reprend le fameux I wanna be loved by you d’Helen Keane qui semble avoir été créé pour elle. Le film est à la fois drôle, pétillant et compte parmi les plus réussis de la star.
Elle chante aussi le fameux « my heart belongs to Daddy » dans le milliardaire (1960), remake pas fameux d’un vieux film avec Alice Faye. Une production laborieuse et assez décevante de Cukor pour laquelle la critique française ne sera pas tendre : « Marilyn Monroe chante comme Line Renaud et ce n’est pas un compliment ! ».
Mais la blonde star a déjà atteint une dimension mythique et ce genre de réserves ne peut plus l’atteindre. Autant que ses films, tous très populaires, les scandales de sa vie déréglée et ses problèmes sentimentaux font la une des magazines (ses liaisons avec Yves Montand, Frank Sinatra, John et Robert Kennedy (marié avec Simone Signoret), ses mariages avec Arthur Miller, Joe di Maggio…). Sous les paillettes et les strass et la chaleur des projecteurs, malgré l’admiration du public du monde entier, la jolie Marilyn ne semblait pas avoir acquis la confiance nécessaire pour mener à bien sa carrière et cachait un mal-être profond. Dans un monde de faux semblants, où elle avait perdu depuis longtemps ses marques, l’actrice était désemparée.
Son décès en 1962 (suicide ou assassinat ?) n’a cessé de faire couler beaucoup d’encre : en tout état de cause, sa carrière était au plus mal (elle avait faitété attaquée devant les tribunaux par la Fox car elle ne respectait plus ses engagements) et à 36 ans, le sex symbol aurait été forcée de changer de registre ; Le destin a préféré qu’elle rentre dans la légende. Elle y occupe toujours une place privilégiée, son image étant toujours reproduites sur d’innombrables supports et son nom restant à jamais le synonyme flamboyant du rêve américain. Elle demeure une référence, un mythe qui ne cesse d’inspirer les nouveaux talents. Copiée et recopiée, dupliquée, coloriée comme sur les toiles d’Andy Warhol, Marilyn est partout…48 ans après !


dimanche 5 décembre 2010

Fréhel, l'authentique voix de la chanson réaliste


La popularité de la chanteuse réaliste Fréhel repose avant tout sur la sincérité et un talent brut de décoffrage : sans le moindre artifice, sans maniérisme, cette femme massive et sans âge aux allures de pocharde, savait sans peine communiquer les émotions les plus intenses ou le plus vif amusement avec ses rengaines du trottoir qu’elle chantait aussi bien dans les plus grands music- halls que dans les foires de quartier. Dans les années 30, le cinéma français qui regorgeait de « gueules », d’excentriques et d’acteurs de composition à la présence écrasante a très bien su exploiter les talents de cette chanteuse au personnage plus grand que nature.

Née en 1891, Marguerite Boulch’ a connu une enfance misérable. Après le décès accidentel de son père, un employé du chemin de fer (et non un marin comme elle le prétendait parfois), la gamine fut obligée très tôt de subvenir aux besoins de sa famille, en chantant dans les rues. Adolescente, devenue démonstratrice en produits de beauté, elle rencontre la belle Otéro, la plus célèbre courtisane d’avant guerre, connue pour ses liaisons avec George VII d’Angleterre, Léopold II de Belgique et Aristide Briand. Subjuguée par sa beauté et ses beaux yeux bleus, elle rebaptise Marguerite Pervenche, et utilise ses relations pour introduire sa protégée dans le tout Paris. Dès 1906, la môme Pervenche chante à la brasserie de l’univers. Avec sa voix rugueuse et brisée aux accents bretons et son air effronté, la jeune chanteuse est remarquée d’emblée. Il semble que dès 1908, la jeune chanteuse ait fait un peu de figuration dans des films de Max Linder, une des premières stars du cinéma mondial dont Chaplin s’est ensuite beaucoup inspiré. Sans doute grisée par la vie facile d’un certain microcosme parisien, la jeune chanteuse qui a désormais adopté le nom de scène de Fréhel (comme le célèbre cap breton) mène une vie dissolue en alternant amants (des boxeurs notamment) et maîtresses avec une boulimie incroyable.
Elle s’éprend du débutant Maurice Chevalier qui la quitte pour la fameuse Mistinguett plus célèbre et donc plus utile pour le déroulement de sa carrière. Extrêmement blessée par cette trahison, la fougueuse Frehel songea au suicide et même à assassiner son ex-amant. Finalement, au début de la guerre 14, elle préféra fuir Paris et suivre dans ses pérégrinations une de ses nouvelles conquêtes la grande duchesse Anastasia, cousine de Nicolas II. Fêtarde devant l’éternel, elle sombra dans le luxe et la débauche des nuits de St Petersbourg, poursuivant une vie aventureuse et turbulente en Europe centrale. Complètement droguée et désespérée, l’artiste est secourue par son ex-mari qui la convainc de rentrer en France en 1922.
Les abus de toute sorte (et notamment de cocaïne qui ont endommagé ses cloisons nasales) ont transformé la jolie Pervenche en matrone bouffie au nez écrasé. Le talent est heureusement intact et grâce à un nouveau répertoire composée de chansons réalistes de qualité comme « du gris »« l’inoubliable inoubliée » fait un come back réussi dans le monde du music-hall.
Le cinéma parlant va beaucoup utiliser les services de la chanteuse dans une longue série de drames réalistes de qualité inégale : si son physique ingrat lui interdit les premiers rôles (un critique la décrit même en 1931 comme « une femme au soir de sa vie », alors qu’elle n’a que 40 ans !!), sa verve, sa présence en font un personnage de composition rêvé pour les scènes de cabarets sordides et autres bouges parisiens. Dans cœur de lilas (31), elle chante avec Jean Gabin (en mauvais garçon), une java plein de gouaille et de vulgarité qui plante d’emblée le décor d’un certain Paris populaire qu’on savoure aujourd’hui avec beaucoup de nostalgie. Les qualités de comédiennes de la chanteuse (en maman d’une fripouille) sont très remarquées dans La rue sans nom (33), adaptation très réussie d’un roman de Marcel Aymé, qualifiée pour certains d’ouvre précurseur du néo réalisme, tout comme dans Amok (34), mélo exotique au scénario audacieux.
Si Frehel marque les esprits dans ses différents films réalistes, c’est non seulement, par ses qualités vocales indéniables, mais aussi par un jeu naturel et mesuré qui tranche d’ailleurs avec l’outrance de celui de certaines vedettes principales et lui donne tant de modernité ; personne n’a oublié sa bouleversante prestation dans le chef d’œuvre de Duvivier Pépé le moko (36), lorsqu’elle chante le nostalgique « où sont ils donc » dans la Casbah en écoutant son disque sur le phono. La scène est d’autant plus émouvante qu’elle rappelle la propre déchéance de la vedette (avec au mur, une photo punaisée de la môme Pervenche au temps de sa beauté). Aux chansons tristes, Fréhel alterne dans son répertoire des morceaux plus gais et truculents comme l’impayable tel qu’il est (36) qu’elle chante dans un court métrage avec l’accordéoniste Alexander, ou l’entrainante Java bleue (39) (son dernier et plus célèbre disque tiré du film une Java). A revoir la femme râblée aux allures de pocharde dans ses films des années 30, on a du mal à imaginer que la chanteuse trainait encore derrière elle une cohorte de gigolos qui profitait de ses cachets. Un personnage haut en couleurs que le jeune Serge Gainsbourg qui la croisait souvent dans son enfance se remémorait comme une femme « plus crade que lui !! »*, ou dont Arletty se souvenait avec amusement des flatulences et son attitude « très nature » dans un ascenseur du Carlton.
Dans la rue sans joie (38) Fréhel fredonne cet incroyable refrain « les hommes ne nous aiment pas pour nous mais pour eux, ce sont tous les mêmes des blasés, des vicieux.. », avec une émotion qui apporte toute la véracité et l’émotion la plus crue aux paroles. Avec un texte plus banal comme « au ciel il existe une étoile », elle arrive de même à faire des miracles avec une intensité difficile à égaler (quel dommage pourtant si connue, tirée d’un film avec Fernandel, n’ait jamais été enregistrée sur disque par la chanteuse).
Pendant la guerre, Fréhel va beaucoup chanter en Allemagne pour les prisonniers, croyant avec une naïveté désarmante apporter du soutien pour nos braves soldats alors qu’elle participait sans s’en rendre compte à la collaboration (elle sera d’ailleurs sévèrement brulée lors d’un bombardement en Allemagne). Mais ce furent davantage les changements de mode et le déclin de la variété réaliste, que l’épuration qui vont éloigner Frehel des feux de la rampe. Si on la croise encore malgré tout son épaisse silhouette dans deux ou trois films, la chanteuse de la java bleue est malade, alcoolique et ruinée. Hébergée dans un hôtel de passe, elle survit grâce aux galas de bienfaisance que des amis organisent en son honneur.
Décédée en 1951 dans la misère, Fréhel a marqué son époque et inspiré de nombreux artistes aussi bien dans el genre réaliste comme Rosalie Dubois que des rockers, frappés par l’authenticité de l’artiste, son vécu sa crudité et son talent sans manières. Même si la chanteuse n’a jamais fait grand cas de ses nombreuses participations au 7ème art, c’est pourtant celui-ci qui a forgé et gardé en mémoire cette artiste sans concessions, tout auond en 1990tant que ses disques (bien que sa discographie complète tient juste sur deux seuls CDs !).
Une bio a été consacrée à ma grande dame de la chanson populaire par N et A Lacombe chez Belfond en 1990.
*Dans le film sur la vie de Gainsbourg, Frehel est incarnée par Yolande Moreau

mercredi 13 octobre 2010

Jenny Jugo, une fille toute simple




Vive et coquette, charmante et naturelle, Jenny Jugo a été une actrice fort populaire au début des années 30, dans une succession de comédies fort plaisantes, souvent chantées . Celle qui fut même comparée à Charles Chaplin en son temps , et dont les films furent si populaires en France (la maman d’un ami se rappelle très bien de les avoir vu avec grand plaisir pendant l’occupation) a pourtant sombré dans un oubli total et volontaire. Une exposition berlinoise de ses tenues de cinéma, conservées avec soin par l’ancienne star a remis en lumière le nom de cette actrice dont la carrière s’est étalée sur plus de 25 ans.

Née en 1904 d’un père ingénieur, Jenny Jugo se marie très jeune (16 ans) pour échapper à sa famille très stricte et à son école de bonnes soeurs. Avec son conjoint, elle se rend à Berlin où elle est remarquée lors d’une soirée par Ben Blumenthal, producteur à la Paramount, qui lui suggère de se présenter de sa part auprès de son ami Erich Pommer. Impressionné par le charme et la photogénie de l’inconnue, le producteur renommé UFA,le plus prestigieux studio de cinéma allemand, lui propose un contrat de 3 ans . Jenny va enchaîner de petits rôles dans plusieurs films muets, presque tous disparus, aux cotés de stars aussi prestigieuses qu’Emmil Jannings ou Conrad Veidt.
Ce n’est qu’en 1927 que l’actrice est enfin remarquée : Sa candeur, son naturel et son talent comique recueillent de très favorables critiques dans la Culotte de Hans Behrendt (réalisateur polonais qui périra tragiquement , victime des persécutions nazies), un film satyrique qui par chance a survenu aux épreuves du temps. Il est probable que ce brusque accès à la notoriété soit à rapprocher de la liaison que l’actrice, fraîchement divorcée, entretient avec Ernst Hugo Correll, le nouveau producteur de l’UFA, .
Il a prévu pour sa dulcinée un contrat en or, avec des stipulations très avantageuses (son nom doit apparaître en deux fois plus gros que ses partenaires au générique des films…) et à la clef des films très prestigieux comme la dame de Pique d’après Pouchkine et le Casanova de Volkov, tourné en France. Une production rococo, à la fois extravagante et non conventionnelle, qui fascine par sa démesure. Carmen de San Pauli (exhumée lors d’un récent festival de Pordenone) , reste en dépit des coupures imposées par la censure, un beau film sur l’amour fou et la déchéance d‘un homme anéanti par la passion.
Jenny Jugo, devenue une star de première grandeur apparaît dans toutes les revues de cinéma notamment en France (ciné miroir, ciné magazine..). Sans posséder un sex appeal ravageur ou une beauté exceptionnelle, Jenny Jugo bénéficie sans conteste de ce petit quelque chose qui retient l’attention et qui la démarque des autres actrices du muet : une « nature » optimiste et gaie . Afin d’ assurer son passage au cinéma parlant et chantant , Jenny Jugo qui n‘a aucune expérience théâtrale, prend des cours de diction. On la retrouve notamment dans la version allemande de la comédie musicale française Chacun sa chance d’Heinz Steinhoff. C’est le réalisateur Erich Engels, ancien collaborateur de Brecht qui va développer le personnage de Jugo et en faire, toutes proportions gardées, une Chaplin en jupons comme le soulignera la presse de l’époque. Franchement, les talents de comédienne de Jenny Jugo ne risquaient pas de faire de l'ombre au génie de Charlot, mais son charme sans apprêt de jeune femme des classes populaires différait en effet des stars de l'époque, très glamour : les spectatrices pouvaient sans difficulté s'identifier à elle. Parmi les gros succès de l’actrice sous la direction d’Engels on retiendra 5 de l’orchestre de jazz, comédie attachante sur le sort de 5 enfants de la crise économique qui tentent de se sortir en se tenant les coudes. Même si Jenny Jugo a souvent avoué qu’elle ne savait pas chanter, les films qu’elle enchaîne à cette époque sont presque tous musicaux, le public européen étant très friand des opérettes en ce début des années 30. Aussi, dans l’amusant une chanson pour toi (1933), c’est le ténor polonais jan Kiepura qui endosse toutes les ritournelles de même que Louis Graveure monopolise tous les refrains de Je n’ai qu’un seul amour.
En 1933, alors que de nombreux cinéastes et artistes s’enfuient de l’Allemagne nazie (certains comme Paul Abraham, compositeur de films opérettes où figuraient l'actrice ne parviendront jamais à retrouver le succès à l'étranger), Jenny Jugo contenue sa carrière sans encombre : ne murmure t’on pas qu’elle est l’une des nombreuses maîtresses de Goebbels le directeur de la propagande et d’Hitler lui-même, qui se montre très généreux avec son actrice préférée : il lui offre une villa près de Wiesbaden, des bijoux, un avion, deux voitures, trois chevaux… En échange, la belle aurait tourné des courts métrages coquins avec des strip-teases réservés à l’usage personnel du führer! On ne sait si ces films égrillards ont survécu ou demeurent enfouis dans quelques collection privée! Il va de soit que l’actrice n’était pas amoureuse du dictateur et encore moins de Gœbbels qu’elle avait surnommé le rat d’égout. Cependant, si ces allégations sont réelles, elle a utilisé la puissance de ces deux monstres en leur accordant ses faveurs ce qui est tout aussi répugnant.

Alors que le nazisme envahit rapidement le monde cinématographique, on est surpris de constater que Jenny Jugo tourne en Allemagne dans une adaptation du Pygmalion de Shaw (d’assez bonne facture au demeurant) et de le vie de la reine Victoria - Sa majesté se marie (exclue aussi de toute propagande anti-britannique !ce qui est suffisamment rare pour être remarqué). A l’occasion, Jenny Jugo se montre aussi convaincante dans des drames comme Gefährliches spiel
(1937) dont le sujet rappelle fortement Mlle Else, déjà adapté à l’écran par Paul Czinner.
Pendant la guerre, les écrans français sont envahis par les films allemands qui sont loin de faire salle comble! Jenny Jugo est une des rares actrices du cinéma allemand à attirer les spectateurs dans les salles françaises(comme Nanette dont la chanson principale « je t’aime » sera un succès du moment) de même que Zarah Leander et Marika Rökk. D’ailleurs l’actrice sera envoyée à Paris à des fins publicitaires (et propagandistes) par Goebbels. « Mutine et vieillissante », elle y est reçue en grandes pompes par Cécile Sorel et Michel Simon. En Bulgarie, la star est également dépêchée par les autorités en tournée publicitaire : un accueil très enthousiaste lui sera d’ailleurs réservé.
Jenny jeune prof (1940) est une comédie absolument charmante d’Erich Engels, avec un parfait sens du timing et une Jenny épatante en prof de math qui tient à garder son indépendance parmi un entourage masculin. Là aussi curieusement son personnage contraste avec l’image de la femme soumise et victime, qui baisse la tête, souvent véhiculée par le cinéma nazi.
En 1945, Jenny Jugo commence le tournage d’un film très inspiré de la comédie hollywoodienne Tom Dick and Harry qui ne sera achevé qu‘après guerre : Comme Ginger Rogers , elle rêve à chacun de ses prétendants…
Grâce au soutien de son nouveau mari, le producteur Klagemann, Jenny Jugo tourne encore deux films pour la DEFA, studio sous le contrôle des autorités soviétiques. Mais l’actrice est sur le déclin. Le tournage d’un film italien est interrompu en 1950 faute de capitaux : Jenny Jugo ne retournera jamais à l’écran. Victime en 1975 d’une erreur médicale elle passes les dernières années de sa vie en fauteuil roulant. Compte tenu de son infirmité, l’actrice refusera toute interview, biographie ou apparition télévisée. Consécutivement, la star sombrera plus vite dans l’oubli que ses anciennes collègues de l’UFA et son décès à l’âge vénérable de 97 ans passera inaperçu. Méticuleusement, l’étoile des années 30 avait conservé avec ses soins les toilettes tirées de ses films ainsi que de nombreux documents : un trésor considérable pour les cinéphiles. Ces objets ont fait l’objet d’une exposition au musée du cinéma de Berlin.

mardi 28 septembre 2010

La biographie de Damia sort enfin!


Amis lecteurs, je vous informe de la sortie en octobre aux éditions Perrin de la biographie de Damia, l'immense star des années 20 à 40, qui a tant marqué son époque. Un travail fouillé de Francesco Rapazzini s'appuyant sur la correspondance personnelle de la grande Damia.
Déjà en précommande à la Fnac.

Présentation de l'éditeur :


Présentation de l'éditeur
Les plus âgés s'en souviennent peut-être, les passionnés de music-hall l'adorent encore...:Damia fut l grande reine des nuits parisiennes de l'entre-deux guerres qu'elle hantait depuis le début des années 10 Le music-hall est alors ce creuset extraordinaire où se rencontrent écrivains (Colette, Giono, Morand... peintres (Foujita, Bérard, Colin, Lempicka), hommes politiques (Blum, La Roque, Cot...), et bie évidemment artistes (Gabin, Fernandel, Mistinguett....) L'existence de Damia est romanesque et hardie, sulfureuse au regard des conventions de l'époque Maîtresse d'hommes et de femmes (parmi ses nombreuses amours, on compte la danseuse Loïe Fulle Chaliapine, et le ministre Pierre Cot. Elle est aussi l'amie des stars du cinéma (Marlène Dietrich, Greta Garbo, Jean Marais...), des cinéastes (René Clair, Abel Gance, Duvivier, avec lesquels elle a tourné de films) et des intellectuels : Federico Garcia Lorca, Max Jacob, Simenon. Jean Genet s'inspire même de sa gestuelle pour créer sa Divine dans "Notre Dame des Fleurs". Damia née dans les Vosges a grandi à Paris dans un milieu populaire qu'elle fuit très tôt, encore mineure ce qui lui vaut plusieurs séjours en maison de redressements. La rue l'attire. Cette belle fille qu'on dit tantôt rousse tantôt brune, se voit danseuse : elle sera chanteuse. Est-ce de cette enfance difficile où pourtant elle ne fut pas si mal aimée, qu'elle conserve une mélancolie que seuls la drogue ou l'alcool lui font oublier ... ? Avant-gardiste dans sa façon d'occuper la scène, Damia incarne pour les observateurs avertis les valeurs de l'expressionnisme allemand en vogue dans les années 20. C'est ainsi qu'elle est à la fois très populaire (très "populo") mais qu'elle fédère aussi les riches aristos, et autres intellectuels engagés. Elle chantera pour le Front Populaire, contre le traité de Munich et ne se mêle point à l'Occupant nazi. Après la guerre, alors que Piaf devient si célèbre, Damia à qui elle doit beaucoup tombe peu à peu dans l'oubli. Même une extraordinaire tournée au Japon ne ravivera pas la flamme de son public.

samedi 4 septembre 2010

les Peters Sisters, 1000 livres d'harmonie et de rythme





Ah, les Peters Sisters, les internautes les plus âgés se souviennent sans doute de ce trio de chanteuses blacks rondouillardes et souriantes qui semaient la gaîté et la bonne humeur lors de leurs prestations scéniques et cinématographiques. Apprenant par un ami le dossier de la dernière survivante du groupe, la talentueuse Virginia Vee, dans l’anonymat de plus complet, j’ai eu l’envie d’évoquer ces pétulantes artistes , synonymes de rythme et d’optimisme.

Nées en Californie d’un père libraire, Anne, Virginia et Mattye chantent à l’église dès leur plus jeune âge tout en se livrant à des numéros de danse acrobatique et de contorsionnisme au collège avant de débuter dans des cabarets de Los Angeles. Elles sont très vite remarquées par Eddie Cantor, le célèbre fantaisiste de Broadway , devenue star de cinéma, sans doute aussi intéressé par leurs voix harmonieuses et mélodieuses que par leurs silhouettes très enrobées (365 kgs à elles trois!) qui leur donne un air de sympathiques doudous . Il les embauche dans son film « Ali baba goes to town », une comédie musicale fort drôle, où le comédien aux yeux ronds comme des boules du loto rêve qu’il se retrouve en Perse, à l’époque des mille et une nuits. Curieusement accoutrées de tenues tribales(notamment Virginia qui porte une plume au bout de son soutien gorge), les trois sœurs chantent et dansent auprès d’un Eddie cantor, au visage noirci par le maquillage et de la danseuse à claquette black Jeni LeGon (qui continue toujours sa carrière à Broadway à plus de 93 ans). Un numéro franchement sympathique .
On les voit aussi dans love and kisses, un musical de série B mettant en vedette la blonde Tobi Wing, girl préfère de Busby Berkeley et la Mannequin du collège avec la patineuse à fossettes Sonja Henie et Tyrone Power. Il s’agit toujours d’apparitions secondaires limitées à une chanson. C’était tout juste la dose supportable pour beaucoup d’états racistes des USA , où certains distributeurs coupaient même carrément la prestation des artistes noirs. Une attitude aussi choquante qu’injuste, car souvent les numéros des chanteurs et danseurs noirs surclassaient ceux des vedettes principales.
En 1938, les trois sœurs sont avec le grand Duke Ellington et son orchestre.
au Cotton Club de New York, fameux dancing de Harlem où les meilleurs artistes noirs se produisaient devant un public blanc. En 1939, lors de leur passage à Londres dans une revue, elles paraissent dans le film french without tears , une comédie spirituelle et bien enlevée d’Anthony Asquith avec Ray Milland, Pendant la guerre, on les retrouve à Broadway dans la revue musicale artistes et modèles. En 1947, les deux sœurs retrouvent l’infatigable Cab Calloway dans un film à très petit budget uniquement composé d’artistes blacks et destiné à la population noire, dont la distribution a du être à l’époque très confidentielle, et qui fait à présent le régal des amateurs de jazz sur DVD. Compte tenu du manque de moyens et de talent derrière la caméra, il ne faut pas chercher grand-chose dans cette curiosité qu’une opportunité d’apprécier Cab et les Peters sisters.
Les trois femmes entament ensuite une tournée en Europe qui va s’avérer triomphale. La France et l’Allemagne sont séduits par l’entrain des trois mamas. Engagée aux folies Bergère avec Henri Salvador, elles déchaînent les applaudissements déguisées en mousquetaires! Et chantent en français sweet, sweet, sweet de leurs voix melliflues
Un joli slow aussitôt repris par Eliane Embrun. En 1949, les Peters sisters font sensation dans Nous irons à Paris, comédie musicale de Jean Boyer qui raconte les péripéties d’une radio pirate. Anodin aujourd’hui, le film remporta un triomphe à l’époque et marqua une génération, en raison de la forte dose d’optimisme qu’il dégageait, et de ces rythmes jazzy. Avec une mention particulière pour nos sœurs débarquant en parachute avec Henri Salvador. On raconte que ce gros farceur s’était brouillé avec Mattye en lui suggérant de faire un bras d’honneur au public, lors d’un spectacle. Ignorant la signification de ce geste, la chanteuse s’était exécutée devant une salle offusquée! En tout état de cause, l’accueil chaleureux des français et la joie de vivre dans un pays où la ségrégation était absente allait dorénavant fixer le destin des Peters en Europe. Mattye épouse un danois, Anne le compositeur Emil Stern (auteur de chansons pour Renée Lebas et Serge Lama) et Virginia le dessinateur Michel Engel, qui devient l‘impresario des 3 grâces. Cette dernière aura deux enfants aux parrains prestigieux : Jean Richard , Bruno Coquatrix et Lena Horne!
Les puristes de jazz regrettent la baisse notable de la qualité du répertoire des Peters qui renoncent à exploiter toute l’étendue de leur registre vocal pour de la variété parfois facile, comme le rumbadi-tcha-tcha-tcha qu’elles enregistrent dans la langue de Goethe et de Molière.
Les trois sœurs demeurent dans les années 50 une attraction de choix, aussi figurent elles dans les émissions de radio de Jean Nohain, en marraine du tour de France et dans de nombreux musicals français et allemands de l’époque comme Pas de vacances pour monsieur le maire, un navet avec le mollasson crooner André Claveau ou les Jambes de Dolores, revue musicale en couleurs avec Germaine Damar qui s’exportera avec un succès inattendu jusqu’en Amérique du sud.
On reste perplexe devant Trois lettres d’amour du Tyrol (1962) ou la montagne qui chante (1957) films folkloriques allemands aux sujets éculés où les sœurs gazouillent entre deux tyroliennes. Dans bal masqué à Scotland Yard (63), musical allemand qui parodie les films de détectives si populaires là bas, les sœurs reprennent joliment le fameux « the best things in life are free ». Le décès brutal de Mattye, la plus plantureuse du trio, au cours de la même année, va mettre fin au groupe. La cadette Virginia Vee poursuivra sa carrière en France pendant plus de 20 ans. Amie des plus grands jazzmen de son temps de Nat King Cole à Louis Armstrong, elle a enregistré pas mal de 45 tours, en français comme en anglais (avec un fort accent) dont l’air du film Modesty Blase sans beaucoup de succès, en termes de ventes. Virginia est beaucoup parue dans les émissions de variété des années 60 et 70, chez Guy Lux notamment. On l’a vue aussi chanter dans Trois chambres à Manhattan, le film de Carné (dreaming of you de Martial Solal). Elle a participé à l’opéra d’Aran l’ambitieux projet de Gilbert Bécaud et obtenu un succès d‘estime avec une reprise des Bee Gees en 1969 « I can’t see nobody ».
En 1982, elle enregistre encore le générique du dessin animé d’Albert Barillé Il était une fois l’espace : la revanche des humanoïdes (sur une musique de Michel Legrand).
Toujours aussi souriante et ronde, Virginia a également chanté dans les églises mêlant gospels et soliloques sur ses souvenirs artistiques.
Elle nous a quitté récemment, sans que la nouvelle soit répercutée par les médias. On est peu de choses! Ici, on ne l’oublie pas de même que ses deux talentueuses sœurs.

dimanche 15 août 2010

Dalida, la diva de la chanson populaire





Avec ses robes scintillantes, ses paillettes, ses chansons entraînantes, Dalida a brillé au sommet des hit parade et conquis le cœur du public européen qui lui a réservé une ferveur que peu d’artistes ont connu.
Si la chanteuse a collectionné les disques d’or aussi bien en France qu’en Italie et en Allemagne, force est de constater qu’elle n’a pas vraiment brillé au cinéma, alors qu’à l’origine, la jeune italienne était littéralement fascinée par Hollywood et rêvait de devenir une star du grand écran. Néanmoins, n’est-ce pas un peu de la magie du Hollywood de l’âge d’or que la chanteuse, a fait brillé dans ses spectacles et à la télévision, et sa longue chevelure et ses fourreaux dorés empruntés à son idole Rita Hayworth? C’est ce sens du spectacle et du divertissement ainsi que la tragédie et le désespoir cachés sous le fard et les lumières, qui la rendaient aussi profondément humaine et expliquent probablement l’ampleur de sa gloire.

Née en 1933 au Caire de parents d’origine italienne, la future Dalida rêve de cinéma et de gloire tout en travaillant dans un laboratoire pharmaceutique. Après avoir remporté un concours de beauté, elle est engagée comme doublure de sa star favorite, l’américaine Rita Hayworth, qui doit tourner en Égypte un film biblique « joseph et ses frères » qui sera finalement abandonné en cours de route par la vedette capricieuse. Pour se consoler, Dalida obtient un rôle dans un film égyptien réalisé par Niazi Mustafa, connu pour son flair en matière de jeunes talents (il a notamment révélé Kamel El Chénawi, Kouka, Leila Fawzi et Samira Toufik, grandes vedettes du monde arabe). Un verre, une cigarette (1955) est un mélo musical avec la grande danseuse orientale Samia Gamal qui se détache de la production égyptienne de l’époque souvent fort médiocre en dépit des merveilleux chanteurs et acteurs qui y participaient. Dalida, déjà très vamp, y chante en italien, en remuant ses cheveux, telle Rita Hayworth dans Gilda : un geste qui la poursuivra longtemps. La même année, on la retrouve en danseuse espionne dans le masque de Toutankhamon, une production franco-égyptienne mise en scène par un ancien cinéaste talentueux de l’époque muette, Marc de Gastyne, auteur notamment d’une remarquable Jeanne d’Arc. Il semble qu’un imbroglio juridique ait privé le film d’une vraie carrière commerciale : en tous les cas, il fut brièvement exploité en France en 1955 et la revue Cinémonde afficha pour l’occasion en couverture Gil Vidal « le jeune premier qui monte » et Dalida présentée comme une « chanteuse italienne ». Arrivée à Paris, sur les conseils de Gastyne, le jeune actrice brune a bien du mal à s’imposer. Son léger strabisme lui est-il préjudiciable?(ce handicap n’a pourtant pas empêché à Norma Shearer ou Virginia Mayo de faire des carrières majeures). Déçue, Dalida va se tourner vers la chanson. Soutenue par le directeur de la nouvelle radio en vogue Europe n°1(son futur mari), qui matraque sans arrêt ses disques à l’antenne, elle triomphe avec Bambino en 1956, puis une longue série d’adaptations de chansons italiennes, très en vogue en cette fin des années 50 (come prima, romantica..). La beauté ténébreuse de la nouvelle vedette, affichée sur les pochettes de 45T contribue aussi à son succès, et lui permet de supplanter l’espagnole Gloria Lasso, chanteuse à accent qui avait marqué les débuts du microsillon.
Dalida ne fera que quelques incursions à l’écran, pour y chanter quelques refrains : il s’agit de polars très datés, traitant d’un sujet un peu scabreux mais populaire : la traite des blanches. Aux médiocre « brigade des mœurs » ou « Rapt au 2ème bureau« , on préférera le film allemand « des filles pour le mambo bar« qui a le mérite d’être bien réalisé et de dépeindre avec justesse l’atmosphère des bars louches. Dalida y chante la version allemande du jour où la pluie viendra qui fera d’elle une star en Allemagne.
Alors que l’univers de la variété populaire connaît de forts remous avec l’arrivée de la déferlante rock et yéyé, Dalida s’accroche imperturbable, an adoptant au passage les nouveaux rythmes dans le vent.
On lui confie enfin un premier rôle dans Parlez moi d’amour (1961) un film musical italien davantage destiné à mettre en valeur les derniers succès de la chanteuse qu’à bâtir une histoire cohérente. Elle y chante notamment « les gitans » qui ont fait sa gloire en Italie.
Plus qu’une chanteuse (dont le talent est affaire de goût : il me semble que dans un genre similaire l’italienne Mina dispose de davantage de possibilités vocales et de versatilité), Dalida est devenue un personnage public dont le public suit les moindres faits et gestes : sa vie mouvementée fait la une des journaux à scandale : son divorce, ses amours et ses malheurs vont faire la joie de certains magazines durant toute sa vie. Le suicide de son amant, le chanteur prometteur Luigi Teno, sera le premier drame d’une longue succession .
Coté cinéma, toujours rien de remarquable : l’inconnue de Hong Kong est selon cinéma 63 « un médiocre film policier qui tente vainement d jouer sur la couleur locale ». Le réalisateur Poitrenaud reconnaîtra que Dalida est moins douée pour la comédie que pour le chant. Les fans pourtant se délecteront de son duo avec Serge Gainsbourg. On la retrouve aussi dans deux films italiens qui ne seront pas exploités chez nous : Ménage à l’italienne (1965) (très inspiré de la comédie « Elle est terrible » de Luciano Salce, où Dalida ne chante pas ) et un roman photo à l’eau de rose Io ti amo, réalisé par Anthony Dawson, spécialiste du péplum et du film d’horreur (1967), aujourd’hui disponible en vidéo.
En tout état de cause, ces essais guère concluants ne recueilleront pas les faveurs du public qui continue pourtant d’aduler la chanteuse qui aligne encore les succès durant la décennie 70 (Gigi l’amoroso, le thème du film le parrain, une reprise disco de j’attendrai). Avec la vogue disco, la chanteuse se pare plus que jamais de paillettes et de couleurs, et la futilité de ses chansons fait un curieux contraste avec une succession de malheurs : le suicide de son premier mari, puis de son amant Richard St Germain. Au début des années 80, l’artiste connaît un déclin certain amorcé par la naissance des radios libres et d’un rajeunissement de l’auditoire. Proie des humoristes , l’artiste peine à retrouver le succès. Ses tentatives pour adopter un répertoire moins facile sont des échecs commerciaux.
Le cinéaste égyptien Youssef Chahine lui propose alors de jouer dans le 6ème jour (1986): un drame non musical à 1000 lieux d’itsi bitsi petit bikini ou autres Kalimba de luna. La vedette qui a toujours rêvé d’un beau rôle à l’écran accepte et relève le défi : la critique applaudit son étonnante interprétation d’une lavandière cairote. Sans artifices ni falbalas, Dalida est belle et émouvante dans ce rôle dramatique qui sera acclamé en Égypte mais ne rencontrera pas un succès populaire en France.
Très dépressive et sans doute sceptique sur l’évolution possible de sa carrière, Dalida se suicidera en 1987. Son frère Orlando a très bien réussi à faire entretenir le mythe de sa célèbre sœur en sortant régulièrement des compils et opérations marketing. Moquée de son vivant, la chanteuse est désormais respectée par la jeune génération du monde musical et reste populaire auprès du public et notamment de la communauté gay : un phénomène de société qui repose probablement davantage sur la sympathie , l’humanité et la fragilité du personnage que les qualités intrinsèques de son répertoire.











vendredi 13 août 2010

Ruth Leuwerik, la noble héroïne des mélos d'après guerre


La talent de Ruth Leuwerik grande dame du cinéma sentimental allemand des années 50 n’a pas souvent été apprécié à sa juste valeur en raison de l’aspect lacrymal et très féminin des mélos qui lui ont apporté la gloire autrefois et du mépris des cinéphiles pour le cinéma allemand de cette période souvent jugé archi-conventionnel et inintéressant. Pourtant, il conviendrait de redécouvrir cette fiévreuse interprète délicate et tourmentée, qui aurait pu briller dans des fresques romanesques comme les hauts du hurlevent ou Jane eyre. Loin d’être une « pleurnicharde poupée de salon » pour reprendre quelques acerbes critiques français, la Deborah Kerr allemande était une excellente comédienne : elle fut aussi l’interprète de la toute première version (un gros succès commercial dans toute l’Europe) de la Mélodie du bonheur, ce qui justifie amplement sa présence sur ce blog.

Née en 1924, Ruth Leuwerik d’abord exercé en tant que dactylo avant de travailler à la fin de la guerre dans une usine d’armement. Avec ses maigres revenus, la jeune femme prend des cours de théâtre.
A force de persévérance, Ruth va faire de sa passion un métier. C’est à Brême en 1947 que sa carrière théâtrale débute véritablement : elle joue Shakespeare et Pirandello.
Au début des années 50, l’actrice assure quelques doublages en allemand de stars américaines (Maureen o’Hara notamment), avant de décrocher quelques rôles qui vont rapidement la rendre très populaire comme « la grande tentation » un bien médiocre mélo se déroulant dans le milieu hospitalier (qui curieusement a toujours fasciné les lectrices de romans à l’eau de rose) ou « l’amour n’est pas un jeu » , à l‘intrigue particulièrement rocambolesque. On ne sait si des kleenex éteint livrés à l’entracte mais ces monuments de guimauve et de larmes ont rempli les salles de cinéma et fait de Ruth Leuwerik la première star du cinéma allemand. Forte et fragile à la fois, courageuse et patiente, elle incarnait pour le public féminin un véritable modèle. Il serait pourtant dommage de confondre l’actrice et ces romances à deux sous, pas toujours bien ficelées.
Comédienne sensible et subtile, Ruth Leuwerik aura davantage l’occasion de prouver ses talents dans les films historiques : elle incarne une fragile et digne Sissi l’impératrice dans la baroque version de Louis II de Bavière (1954) signée Helmut kautner le meilleur réalisateur allemand d’après guerre; Il s’agit d’un film visuellement superbe, aux couleurs flamboyantes et au charme étrangement glacé. Pour apprécier davantage le film, on aurait peut être aimé un peu plus de démesure et de folie. De même, l’homosexualité du roi n’est presque jamais insinuée (époque oblige), alors qu’elle explique tout de même partiellement les angoisses du souverain et son mariage avorté avec la sœur de Sissi. En tout état de cause, l’interprétation de Ruth Leuwerik et d’OW Fischer est impeccable, et le film baigne dans un onirisme wagnérien fort prenant.
Elégante et blasée, l’actrice est moins à son aise en reine Louise de Prusse, implorant Napoléon d’épargner son pays.

Ruth Leuwerik chante pour la première fois dans Portrait d’une inconnue, un mélo de Helmut
Kautner, qui n’a certes pas le doigté d’un max Ophuls ou de George Cukor mais une subtilité qui lui permet de fort bien manier l’univers mélodramatique et féminin.
Le rôle d’Effi Briest, sorte de cousine allemande d’Emma Bovary, semblait taillé pour l’actrice : elle le tient parfaitement dans « Roses d’automne » comme autrefois la grande Marianne Hoppe. Bénéficiant d'une superbe photographie en agfacolor, ce mélo somptueux mériretait vraiment d'être redécouvert. La reine du mélodrame va connaître le summum de sa gloire en 1956
avec la famille Trapp, biographie romancée de la baronne von Trapp, bonne sœur novice dépêchée comme gouvernante dans une famille de sept enfants qu’elle va initier à la musique et au chant. Ce gentil mélo musical signé Wolfgang Liebeneiner tient entièrement sur ses épaules. Sa composition est étonnante : elle semble stressée, hyper émotive, gauche et attachante et loin de l’insouciance de la lumineuse Julie Andrews qui reprendra le rôle dans le remake américain. Mais c’est justement ce qui fait le charme et l’intérêt de cette version et j’imagine qu’aucune des deux vedettes ne ressemblaient à la vraie Maria Von Trapp, qui était beaucoup moins gentille dans la réalité! Coté musique, on est surpris de ne pas entendre les fameux airs de Rodgers et Hammerstein qui font la splendeur de l‘opérette américaine et du film de 1965 et qu’on attend à chaque scène. Ici, les enfants chantent du Bach et des cantiques…comme dans la réalité d’ailleurs et j‘en connais qui ne s’en plaindront pas! . La musique de Franz Grothe (un ami intime de Ruth Leuwerik) et notamment l’air principal sont de très bonne facture.
Alors, évidemment le film pèche par un excès de guimauve surtout dans sa seconde partie, ce qui lui vaudra quelques coups de griffe de la presse française (un journal le qualifira de film le plus infame qu'on ait vu depuis longtemps!!!)…mais ne l’empêchera pas de faire un tabac en France, notamment dans les patronages!
Une suite tout à fait inutile (de l’aveu même de Ruth) sera tournée en 1958 : la famille Trapp en Amérique..; qui sera ainsi accueilli par la revue Cinéma « qu’elle aille au diable! ».
Auréolée par cet énorme succès, Ruth Leuwerik reçoit même des propositions d’Hollywood : Curtis Berhardt souhaite l’engager pour un remake d’Anna Karenine. Dubitative, l’actrice préfèrera décliner l’offre que de risquer les comparaisons avec Garbo (ce qui ne l’empêchera pas de jouer en 1965 dans un remake télévisé de Ninotchka).

En 1958, Ruth joue sous la direction de Robert Siodmak, revenu des USA, Dorothea la fille du pasteur , drame naturaliste qui dépeint la descente aux enfers d’une vieille fille ignorante. Le réalisateur espère bousculer ainsi l’image angélique et chaste de la bonne sœur chantante . Ce sera un ratage total : un mélodrame poussif et ennuyeux que même l’actrice n’arrive pas à sauver.
Heureusement, l’année suivante, elle se rattrape avec « elle n’a pas hurlé avec les loups » la biographie réussie mais pas très réaliste de Renate Muller, artiste de comédie musicale des années 30(Victor victoria) dont la tragique destinée sera un jour contée dans nos colonnes. A déafut de ressembler à la pétulante et exubérante actrice des années 30, la digne et réservée Ruth est vibrante d’émotions dans ce personnage de star amoureuse d’un juif dont la vie va basculer dans l’horreur : victime de persécutions nazies, elle mourra dans un asile psychiatrique dans des conditions restées mal élucidées.
Le film comporte de superbe scènes, notamment de déchirants adieux d’une belle intensité émotionnelle où Ruth court sur le quai de la gare, . En revanche, que l’actrice semble bien moins à l’aise (surtout vocalement) dans les scènes de comédies musicales.
En 1962, elle aborde sous la direction d’Helmut Kautner un virage difficile en incarnant la Rousse (avec Rossano Brazzi) une femme blasée qui plaque son mari et son amant pour faire le point sur sa vie : un mélo intimiste et introspectif qui s’inspire des films nouvelles vague; et qui laissera de marbre les critiques du festival de Venise, qui jugeront le résultat de « sous Antonioni« . Des rediffusions télé ont pourtant démontré que ce film intelligent était très largement meilleur qu’on ne l’avait dit et figure parmi les meilleures prestations de la star. Néanmoins, il sera fatal à la carrière de Ruth Leuwerik.
Même si l’actrice a souvent fait la une des magazines des années 50 , elle ne s’est jamais épanchée sur sa vie sentimentale , ni appuyée sur un quelconque scandale pour relancer sa carrière. On sait tout juste que ses mariages avec un comédien rencontré à ses débuts puis le grand baryton Dietrich Fischer-Dieskau ont tourné court, avant qu’elle n’épouse un ophtalmologiste.
Depuis les années 60, Ruth Leuwerik s’est fait discrète autant au cinéma qu’à la télévision (où on l’a aperçue dans des épisodes de l’inspecteur Derrick). Lors de ses interviews l’artiste étonne par sa grande modestie. Quand on lui demande pourquoi après avoir joué dans de pièces classiques au théâtre, elle s’est fourvoyée dans le cinéma populaire, Ruth Leuwerik rappelle le 7ème art doit avant tout demeurer un divertissement. Une grande dame qui mérite d’être redécouverte: une réédition en France de ses meilleurs films serait la bien venue et notamment de la famille Trapp, souvent réclamée par des cinéphiles au détour de forums spécialisés.(le film n’existe qu’en Allemagne et sans sous-titres).

mardi 20 juillet 2010

Ilona Massey, le charme slave








Blonde et sophistiquée, la belle chanteuse hongroise Ilona Massey n’est finalement pas parvenue à inscrire de manière durable son nom dans l’histoire de l’opérette filmée. Malgré le soutien appuyé du patron de la plus prestigieuse firme hollywoodienne qui veillait tout particulièrement sur elle, la belle n’est pas parvenue à convaincre le public qui ne lui pardonnait pas de vouloir prendre la place de la populaire Jeanette Macdonald aux cotés de Nelson Eddy. Très vite, la vamp slave fut réduite aux westerns et films d’horreurs de série B.


Née en 1910 à Budapest, dans une famille très pauvre, Ilona Massey a connu une enfance misérable et avoue n’avoir goûté à la viande qu’à l’âge de 7 ans. Apprentie couturière, la jeune femme ne songe qu’à échapper à sa sordide condition : elle économise ses maigres revenus pour prendre des cours de chant et n’hésite pas à pousser la porte de l’opéra de Budapest pour obtenir n’importe quel poste : davantage intéressé par sa beauté que par sa voix, le directeur lui propose un emploi de choriste.
La publication de sa photo sur un magazine va lui apporter la gloire. Afin de progresser dans l’échelle sociale, la blonde divette épouse un noble jeune homme, contre l’avis de ses parents : une brève union qui s’achèvera par un divorce puis le suicide de l’incosolable époux. Mais la carrière d’Ilona est lancée : la nouvelle protégée du directeur de l’opéra de Vienne Ilona chante la Tosca et Aida et joue dans deux films autrichiens. Le premier d’entre eux avec le fin comédien Heinz Rühman est d’ailleurs une charmante comédie optimiste. En villégiature en Hongrie, le patron de la MGM, Louis B Mayer, venu goûter aux vertus des eaux de Karlsbad , aurait alors rencontré et remarqué la belle Ilona : les versions foisonnent sur les conditions exactes de cette entrevue : d’aucuns affirment que l’agent de l’actrice aurait envoyé sa photo au producteur, qui cherchait de nouvelles recrues pour son usine à rêve, d’autres qu’il l’aurait entendu chanter à l’opéra, rencontré à Salzbourg au château de Max Reinhardt ou enfin qu’il aurait dansé avec elle lors d’une soirée, que la bretelle de sa robe aurait glissé, dévoilant largement sa généreuse poitrine…
En tout état de cause, louis b Mayer ramena bien dans sa bagages la belle hongroise ainsi que l’actrice Hedy Kiesler, qui venait de faire scandale en se baignant nue dans le film Extase (1933) et qu’il transformera en Hedy Lamarr
, et enfin Rose Stradner(future Mme Mankiewicz). Les trois jeunes femmes furent ensuite logées dans le même appartement afin de parfaire ensemble leur anglais. Les mauvaises langues prétendent qu’elles étaient devenues la propriété privée du brave papy Louis B Mayer, très sensible aux jolies dames.
Ilona Massey remplace au pied levé Della Lind dans Rosalie une comédie musicale sont les vedettes sont le ténor Nelson Eddy et la danseuse à claquettes Eleanor Powell.
Production à très gros budget (2 millions de dollars), cette comédie romantique et féerique (qui raconte la passion d’un cadet de la West point pour une princesse voyageant incognito) éblouit encore par le nombre de ses figurants et les numéros de la danseuse. Même si elle récite phonétiquement son texte et ses chansons, la nouvelle venue bénéficie d’un accueil très favorable par la presse. Lancée comme la nouvelle Marlène Dietrich, Ilona retrouve Nelson Eddy dans balalaïka, somptueuse opérette filmée. Alors que Jeanette mac Donald que Nelson Eddy ,couple vedette de tant d’opérettes à succès, désiraient poursuivre leur carrière respective avec d’autres partenaires, le public avait du mal à les apprécier séparément (il pensait d‘ailleurs qu‘ils étaient mariés ensemble!). En dépit de sa lumineuse beauté, Ilona dans son rôle de révolutionnaire russe avait du mal à convaincre les fans de Jeanette et de Nelson : trop maniérée, trop sophistiquée (c’est un euphémisme!) et vocalement un peu limitée peut être (mais franchement, Jeanette MacDonald n‘était pas vraiment meilleure sur ce plan !), elle était incontestablement moins douée pour la comédie que son illustre rivale.
Néanmoins, il semble que le déclin rapide de la vedette hongroise soit davantage lié à sa vie sentimentale. Compagne de Sam Katz , producteur à la MGM, son infidélité et sa liaison avec l’acteur Alan Curtis qui lui coûtera son contrat avec la firme du lion.
Désormais récupérée par des studios aussi peu prestigieux que la Républic, le belle tournera pourtant dans quelques films d’honnête facture comme une bio complètement fictive mais distrayante de la vie de Schubert où elle partage l’affiche avec Alan Curtis devenu son mari, ou International lady, un film d’espionnage dans lequel elle délivre des messages secrets au travers de ses chansons (un peu comme sa concurrente Macdonald dans Cairo qui sème des signaux en morse dans ses vocalises!). Si Frankenstein rencontre le loup garou (1943) est assez sympa, on comprend bien que ce n’est pas dans ce genre de film, à la limite du ridicule, que la belle blonde va redore son statut de star.
En 1943, Ilona Massey tente sa chance à Broadway dans les Ziegfeld follies, où elle remporte un certain succès malgré quelques réserves sur ses capacités vocales. (elle y interprète notamment Zing went the strings of my heart empruntée à Judy Garland). Généreuse, elle reverse une grosse partie de ses gains à la croix rouge. Devenue citoyenne américaine, la belle fait un retour inattendu à la MGM pour remplacer son éternelle rivale Miss McDonald , dans une grande fantaisie musicale « Féerie à Mexico » dont la nubile Jane Powell est la vedette. Dans cette comédie amusante narrant les d’une toute jeune fille pour tenter de séduire un homme qui aurait largement pu être son père, voire son grand père (le pianiste José Iturbi), Ilona Massey parvient à se faire remarquer surtout par sa beauté : le technicolor lui sied à ravir et dans la séquence où elle chante Someone to love avec l’orchestre typique de Xavier Cugat elle subjugue vraiment par sa splendide allure. Mais pour quelle étrange raison l’a ton doublée pour le chant?

En 1947, Ilona retrouve Nelson Eddy dans un western musical et romantique plutôt bien fait (poste avancé). Je n’ai en revanche pas vraiment accroché à son film avec les Marx brothers (la chasse au trésor).
Dans les années 50, on verra sporadiquement la chanteuse à la télévision. Farouchement anti-communiste, l’actrice exprimera haut et fort ses convictions et sa colère, notamment après l’invasion de Budapest par l’armée rouge. Lors de la visite de krutchev aux USA, elle n’hésitera pas à demander son expulsion aux nations unies.
En1955, Ilona Massey épouse un ancien général de l’armée de l’air et sombre vite dans l’oubli.
Elle est décédée en 1974 après une longue lutte contre le cancer.