dimanche 15 mars 2009

Nargis, mère de l'Inde






Portrait réalisé par Jordan WHITE et reproduit ici avec son amicale autorisation :


Nargis est née le 1 juin 1929, à Calcutta la capitale du Bengale, une des régions les plus riches culturellement parlant de l'Inde, berceau d'un monde de littérature, de musique et de ciné toujours florissant avec les films régionaux tournés en bengali qui n'ont pas forcément beaucoup d'écho en France, mais un public fidèle en Inde.
Ppremière actrice en langue hindi moderne, Nargis est un peu la "mère spirituelle" de Kajol, Nandita Das et autre Madhuri Dixit qui aujourd'hui font les honneurs de ce ciné par l'intelligence de leur jeu et leur caractère bien trempé.

La maman de Nargis est elle-même artiste, touche-à-tout qui plus est : outre ses talents de danseuse classique, elle est aussi actrice, chanteuse et compositrice. Nargis grandit donc dans un univers familial riche d'influences prestigieuses et très amène à continuer l'héritage culturel local et national. La légence de Nargis est traditionnellement liée à celle de la vie de Raj Kapoor, réalisateur dont l'empreinte ne s'est jamais effacée du patrimoine national indien et qui est aujourd'hui encore célébré pour l'audace de ses films. Il est considéré avec Guru Dutt comme un des plus fameux cinéastes du ciné hindi alors même que le nom de Satyajit Ray revient souvent sur toutes les lèvres, lui qui ne tournera quasiment que Les Joueurs d'Echec dans cette langue. Un Raj Kapoor adoré dont elle partagea les moments à l'écran dans des comédies romantiques masala comme dans la vie et avec lequel elle vécut un grand nombre d'années (Raj refusera de divorcer de son épouse tout en continuant à la voir).

La filmographie de Nargis est riche d'une cinquantaine de films. Je suis loin de les avoir tous vu bien entendu, mais rappelons certains des titres incontournables qui ont bâti son énorme influence et son culte.
Elle débute à l'âge de six ans, bébé star dans Talashe Haq. Nous sommes en 1935. A l'époque, le ciné hindi comme bon nombre des autres cinés du monde entier est en 4/3 et en noir et blanc. Mais peu importe, les films sont là, et ils réunissent déjà de nombreux spectateurs curieux, très familiers des univers décrits, et bientôt avides de découvrir de nouveaux visages de stars. Nargis va en faire partie à partir des années 40.
D'abord dans Aag en 1948. Le sentimentalisme de Kapoor cache souvent des zones d'ombre qui finissent par déborder du cadre classique pour faire chavirer les personnages, lesquels expriment la passion la plus fougueuse comme la colère la plus soudaine. Kapoor opte souvent pour des images travaillées avec un usage du gros plan expressionniste donc des cadrages serrés.


C'est Andaz, un classique absolu qui révèle toutefois Nargis qui n'est pas signé Raj Kapoor mais Mehboob Khan. En 1949, à tout juste vingt ans, Nargis, qui a ce visage incroyable de jeune première avec un regard déterminé et une chevelure légèrement frisée couleur de jaie crève littéralement l'écran. La séquence où Dilip Kumar chante ses amours au piano devant une Nargis qui se penche sur son épaule est inoubliable, de même que le gros plan sur la larme s'attardant à tomber au dessous de sa paupière. C'est un de ses films les plus célèbres.

Fondamentalement le film représente un virage dans le ciné hindi en y injectant une forte problématique sociale et politique : L'inde vient d'obtenir son Indépendance en 1947, et le réalisateur rejette violemment l'omniprésence anglaise et les siècles d'occupation. Il fait de Nargis son idole. De fiction et de faits.
La même année elle retrouve le fidèle Raj Kapoor pour un autre drame romancé, Barsaat (qui comme bon nombre de classiques fera l'objet d'un remake). L'attraction mutuelle entre les acteurs dans la vie se retrouve à l'écran avec des étreintes surtout psychologiques intenses, des bras de fer, des tensions sous-jacentes qui explosent dans le drame parfois total. De plus les films à forte connotation dramatique comporte tous des séquences se passant sous la pluie, séquences incontournables que l'on reverra ensuite dans nombre de films (Kuch Kuch Hota Hai, Veer-Zaara, La Famille Indienne, Dil to Pagal Hai, et j'en passe tout un tas)
La critique et le public s'enthousiasment. La tagline la plus célèbre est : "What a film !" L'ancêtre en quelque sorte du "Two Thumbs Up !"

Nargis enchaîne les rôles, tournant film sur film, d'une teneur pas toujours égale. Elle tourne avec les grands, dont Dilip Kumar jusqu'à Shree 420 en 1955 avec toujours Raj Kapoor, personne indispensable, alter ago, mentor aussi.
Le rôle le plus marquant de l'actrice demeure Mother India de Mehboob Khan, où elle incarne à elle seule la détresse et l'espoir. Mariage, paysannerie, solitude. Tous les thèmes dramatiques sont traités dans un film en couleurs utilisant le procédé Technicolor pour un visuel flamboyant, lequel sera encore plus poussé avec Mangala filles des Indes où tout tient de l'extravaganza. Mother India qui convoque le cinéma classique américain dans sa dramaturgie et l'éveil national d'une nation (dix ans après l'Indépendance) d'une Inde majoritairement agricole. Il va même puiser dans l'image christique avec son héroïne sacrificielle qui souffre pour les siens mais aussi son pays.
Pour la première fois en tout cas un film indien est nominé à l'Oscar (ce qui arrivera à nouveau en 2001 avec Lagaan dans la catégorie meilleur film étranger). Nargis est alors au firmament de sa carrière. Nargis échappe aussi à une mort terrible dans la séquence d'incendie. Sunil Dutt l'a sauva in extremis des flammes. La scène d'ouverture montrait un marteau et une faucile, symbole du communisme, avant d'être édité pour concourir aux Oscar car il était sorti en pleine guerre froide.

De son union avec Sunil Dutt est né Sanjay Dutt, acteur très connu qui a été enrôlé dans plusieurs affaires et jugé il y a quelques semaines pour possession illégale d'armes avant d'être relâché par caution.
Son dernier grand rôle est celui qu'elle tient dans Raat Aur Din en 1967. Elle n'a pas Raj Kapoor pour partenaire, mais Pradeep Kumart et Feroz Khan qui est le réalisateur de Qurbani, un des rares films à avoir été présenté en sélection à Cannes, en 1979 en l'occurrence soit presque trente ans avant Devdas en 2002.

Son dernier rôle sera dans Deva Tuzhi Sonyacho Jejuri en 1967.

Elle ne tournera plus rien pendant presque vingt ans, et décèdera d'un cancer du pancréas en 1981, laissant derrière elle ses enfants et ses films.
Son regard intense, ses choix de carrière, ses films parfois controversés en auront fait une grande et belle tragédienne mais aussi une actrice comique au minois mi boudeur mi espiègle. Oui, elle a vraiment bien sa place ici, et dans tous les coeurs des fans.

Pour ma part, j'ai vu Nargis dans la vagabond (awara) chef d'oeuvre de Raj Kapoor, où l'actrice fascine par son charisme, sa sensualité et la subtilité de son jeu. Ce film sera comme mother India exploité dans le monde entier et connaîtra un succès énorme en Russie et en Chine. On peut donc affirmer que Nargis fut de loin la première actrice indienne connue internationalement.


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