dimanche 29 mars 2009

Martha Eggerth, princesse czardas




Aimez vous l’opérette viennoise ? C’est sûr, c’est un genre totalement démodé et je me demande s’il existe en France beaucoup de personnes de moins de 60 ans sensibles aux œuvres de Franz Lehar, Ralph Benatzky ou Emmerich Kalman. Pourtant dans les années 30, on raffolait de ces musiques légères et des gazouillis de divettes telles que la blonde Marta Eggerth. Outre sa jolie voix cristalline, Marta disposait d’une fragile silhouette de poupée qui tranchait avec l’image que le public avait alors d’une cantatrice, puissante et rondouillarde.

Née en 1912 à Budapest, Marta a commencé très jeune à chanter sur les scènes de l’opéra comique (sa maman était cantatrice et son père directeur de banque).
C’est grâce à une méprise que la chanteuse d’opérette va faire ses débuts à l’écran en Allemagne. Alors qu’elle est en tournée en Allemagne, le futur réalisateur Geza Von Cziffra qui s’est trompé de salle de spectacle (il devait à l’origine se rendre à un spectacle jouée par la star du muet Liane Haid) est subjugué par sa voix. Malgré les réticences de la maman de Marta qui ne la quitte pas d’une semelle, il somme la très jeune femme de tenter des bouts d’essais avec le producteur Richard Eichberg. Elle est embauchée sur la champ.

J’ai eu l’occasion de voir un de ses tout premiers films à la cinémathèque « Casse cou -1931 », avec un doublage en français d’époque et des bruitages qui rendaient le tout assez croquignolesque. Quant à la timide Marta, elle minaudait entre les bras du puissant Hans Albers qui lui répétait de sa voix vibrante : Mounou, Mounou, Mounou…
En 1933, elle triomphe dans une bio de Schubert réalisée par le talentueux Willy Forst aux cotés d’Hans Jaray. Les disques 78 T de la sérénade et l’Ave maria tirés du film se vendront comme des petits pains. Très vite, Marat supplante auprès des spectateurs les autres divas et divettes de l’écran allemand comme Gitta Alpar ou Jarmila Novotna, dont les origines juives leurs valent bien des obstacles à partir de 1933.

On la retrouve dans de nombreux films opérettes comme Princesse Czardas, ou d’autres romances où elle joue toujours les soubrettes de charme. En 1935, elle donne la réplique au célèbre ténor polonais Jan Kiepura dans J’aime toutes les femmes. Très imbu de sa personne, le chanteur jouissait alors d’une incroyable popularité (et drainait à l’opéra de Paris, un public inhabituel très populaire qui l’avait adoré dans ses films) et n’appréciait nullement Miss Eggerth (craignait-il qu’elle lui fasse de l’ombre ?) : l’amour naîtra lors du tournage et finira par un mariage.

Alors que Kiepura tente (vainement) sa chance à Hollywood, Marta tourne quelques films agréables, en version française et allemande comme la chanson du souvenir (1936) dont la magnifique chanson composée par Franz Grothe est le principal attrait. Si la comédie fantastique « manoir en Flandres 1936» bénéficie d’une critique élogieuse dans le livre consacré à l’histoire du cinéma nazi, le film rediffusé sur cinéclassic ne m’a guère convaincu.



Mais le plus gros succès de Marta Eggerth fut sans doute Casta Diva, film italien de Carmine Gallone (1935) bio du compositeur Bellini où elle incarne l’inspiratrice du musicien, qui meurt en pleine jeunesse. Bien évidemment, Marta nous gratifie d’une belle version de l’air de la Norma, repris depuis en variétoche par Mireille Mathieu (mille colombes) et hymne sarkozien. Elle jouera également dans la version anglaise, the divine spark.
En 1937, Marta et Jan Kiepura se retrouvent pour une adaptation filmée de la Bohème de Puccini, curieux film où ils incarnent des comédiens qui jouent le célébrissime opéra tout en connaissant un destin tragiquement similaire : Marta meurt en scène juste à la fin du spectacle ! Elle y révéle un réel talent d'actrice et est très émouvante, sans jamais en faire trop. Des recherches généalogiques entreprises par les nazis révélant que Marta Eggerth a des origines juives, le couple est contraint de quitter l’Allemagne nazie en 1938.

Leur sort parait bien incertain étant donné l’échec cuisant de Jan dans son film tourné aux States en 1936 avec Gladys Swarthout. Cependant, la tournée qu’ils entament avec la veuve joyeuse va vite les remettre en selle. En 1942, Marta est même engagée par la MGM (Louis B Mayer étant très sensible aux opérettes viennoises) pour jouer les coquettes dans For me and my gal avec Gene Kelly et Judy Garland. Un excellent film, dans lequel elle n’a qu’un petit rôle, mais paraît bien plus jolie que dans ses films allemands (merci les maquilleurs d’Hollywood). Si on regarde bien la séquence où elle chante au piano une mélodie pour Gene Kelly, on peut remarquer que son décolleté et sa robe semi transparente ont été floutés (trop sexy Marta ?) Compte tenu de sa popularité en Europe, son nom apparaîtra pourtant au dessus de Gene Kelly lors de la sortie du film en France et en Belgique après guerre.
Marta chante aussi dans le modeste mais charmant « Lily Mars vedette 1943». Mais là aussi, son rôle n’est pas sympathique et c’est Judy la star.

Après guerre, on retrouve encore Marta avec Jan Kiepura dans une nouvelle version italo-américaine de la Bohème. Ce film est-il meilleur que le précédent ?
En 1949, Marta tente à nouveau sa chance en France, avec Jan dans la valse brillante, un film opérette léger de Jean Boyer (un spécialiste du genre) aux chansons sympathiques composées par Louiguy (l’auteur de la vie en rose). C’est une comédie de bon aloi, tout à fait charmante mais un brin désuète. Dans un passage, Marta exécute une sorte de conga, tout juste vêtue d’une sorte de bikini avec traîne qui met bien en valeur sa gracile silhouette.

Une poussiéreuse version en couleur de l’opérette Le pays du sourire (1952) mettra fin à la carrière du couple (si on excepte une apparition de Marta en guest star dans un film catastrophe allemand de 1957, Menaces sur Berlin). Si l’opérette finit par totalement déserter les écrans (hormis des films pastiches ou remis au goût du jour avec Peter Alexander), elle draine encore un certain public sur scène où Eggert et Kiepura vont continuer à se produire jusqu’au décès de Jan en 1966. Après une longue période de retraite, Marta a repris ses activités de chanteuse dans des galas de charité. Et chose incroyable, elle a gardé une sacrée voix pour une octogénaire !(un CD allemand reprend une partie de ses enregistrements tout récents). En 1998, Marta a joué le rôle d’une cantatrice dans le feuilleton allemand Tatort sous le nom de Marta Eggerth-Kiepura.

Elle a participé en 2006 avec ses deux fils à l’inauguration d’une statue à Varsovie pour rendre hommage à son célèbre mari. Elle vit à New York depuis de très longues années et chante encore à l’occasion. Un vrai phénomène ! On peut trouver chez Marianne Mélodie un Cd de Jan Kiepura avec quelques solos de Marta dont de rares versions françaises de ses tubes allemands ou autrichiens et apprécier sa belle voix de soprano colorature (à moins d’être allergique aux voix trop aigues), aussi à l’aise dans l’opérette, l’opéra que les fox trots. Tout le charme rétro des années 30.

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