mardi 3 mars 2009

Marika Rökk, princesse czardas









Pendant la seconde guerre mondiale, les films américains étaient interdits en France par l’occupant. Les amateurs de comédies musicales, privés de Fred Astaire, Ginger Rogers et d’Eleanor Powell pouvaient toujours se distraire en allant voir les comédies germaniques mettant en scène la danseuse acrobatique Marika Rökk, largement diffusées par les nazis (Les gens faisaient alors la queue pour oublier leurs soucis en allant voir ses films et on raconte qu’elle était l’actrice préférée de François Truffaut enfant).
La jolie rousse n’avait certes pas la grâce d’Eleanor Powell, mais de sacrés talents pour l’acrobatie, bien mis en valeur par son mari et réalisateur Georg Jacoby, auquel on ne peut nier un réel sens du spectacle.

Née en 1913 au Caire de parents hongrois, la petite fille va suivre des cours de danse à Paris, avant d’être engagée à l’adolescence dans un bataillon de girls du moulin Rouge. Elle participe ensuite à une revue des Ziegfeld Follies, suivie d’une grande tournée aux USA. De retour en Europe, elle tient de petits rôles dans deux films britanniques de 1930, puis de retour en Hongrie se voit enfin proposer la vedette de deux films musicaux.
Le succès remporté par le second « le train fantôme » ne se limite pas aux frontières hongroises. Après avoir fait sensation dans une revue berlinoise, Marika se voit très naturellement offrir un contrat par le puissant studio UFA en quête désespérée de vedettes, depuis l’exil de comédiens juifs chassés par les nazis (Richard Tauber, Gitta Alpar…), et d’autres artistes qui n’ont pas voulu se compromettre avec ce régime épouvantable (Fritz Lang…).






Leichte kavalerie (1935), situé dans les milieux du cirque est un succès immédiat. Son réalisateur Georg Jacoby, qui a beaucoup tourné à l’époque muette a du métier et un goût pour les spectacles fastueux. Dorénavant, il va mettre en scène la plupart des films de la jeune femme, qui deviendra son épouse en 1940 (bien qu’il soit bien plus âgé qu’elle). Ses versions filmées des opérettes comme l’étudiant pauvre (1936) et Gasparone (1937) sont particulièrement réussies, avec légèreté et beaucoup de fantaisie. Le comédien hollandais Johannes Heesters (103 aujourd’hui) a beaucoup de panache et de fantaisie, quant à Marika, elle excelle dans les scènes de danse : infatigable, elle exécute avec une énergie redoutable les danses cosaques
Fille d’Eve (1938), remporte un gros succès populaire : outre les chansons faciles à retenir (bei eine nacht im mai) on aperçoit aussi furtivement apercevoir la silhouette nue de Marika (ou de sa doublure) prenant un bain de minuit.



L’énorme succès des films de Marika l’a catapultée aux toutes premières places du Box office. Goebbels le ministre de la propagande, qui tient depuis 1937 les rennes de toute la production cinématographique du pays, sait qu’il tient là une de ses actrices les plus populaires. Elle ne sera néanmoins pas distribuée dans des films de propagande : mais rien n’était innocent chez les nazis, et les comédies musicales, apparemment inoffensives, ont également un but : distraire et anesthésier le public allemand et des pays occupés. Afin de donner à la petite star robuste, une silhouette plus élancée, les studios usent de stratagèmes (en filmant notamment ses numéros par en dessous) sans vraiment réussir.

Après avoir joué le rôle de l’épouse de Tchaikovsky dans Pages immortelles avec l’autre reine du cinéma nazi Zarah Leander (un gros succès en France en 1940), Marika triomphe dans Cora Terry (1940). Dans ce film étonnant, Marika incarne deux soeurs jumelles : l’une réservée et honnête, l’autre vulgaire à souhait (pour certaines scènes, une doublure, sortie paraît-il d’un camp de concentration fut utilisée). Marika n’ayant jamais été une comédienne très nuancée, son interprétation est très mécanique, voire agressive. Les passages musicaux sont excellents : notamment l’incroyable numéro de claquettes avec une sœur sur la tête de l’autre (il faut le voir pour le croire !) et la danse du ventre de Marika avec un serpent : c’est vraiment du travail du pro. On peut saluer au passage l’imagination débordante de Georg Jacoby pour ce numéro de grande qualité.
Quant à Marika, elle compense son absence de grâce par un érotisme lourd et troublant, une vivacité étonnante et un incontestable talent pour les acrobaties
Consterné par les images floues et « baveuses » du premier film musical allemand en couleurs (la belle diplomate), Goebbels (qui en privé avait eu l’occasion de voir autant en emporte le vent) refusera dans un premier temps de distribuer « une telle merde » (je reprends ses mots) en Allemagne et le réservera …à la France occupée !



Après un film à costumes, d’un genre très viennois (la danse avec l’empereur), Marika triomphe dans le démon de la danse (1942). Les chansons du film connaîtront un succès pérenne et il arrive qu’on entende encore « sing mit mir » dans les cirques !
Cependant, la femme de mes rêves (1944) (tourné à Prague pour éviter les bombardements sur Berlin) reste le plus célèbre film de Marika. Si on peut vraiment regretter une façon vraiment trop statique de filmer les numéros musicaux (qui leur enlève énormément de valeur par rapport aux films américains), on constate en revanche que le réalisateur ne manque pas d’idées. On retiendra notamment la finale du film où telle Ginger Rogers, Marika en grande robe blanche, danse aux bras d’un danseur fluet genre Fred Astaire, dans des escaliers irisés. Le numéro de danse espagnole, où Marika exécute un boléro, vêtue d’une robe très très décolletée et largement fendue, portée dans les airs avec beaucoup de difficultés par le maigre danseur (trop lourde Marika ?) scandalisera Goebbels, mais passera in extremis le cap de la censure.




A la fin de la guerre, Marika connaîtra quelques problèmes avec les alliés. Les mauvaises langues prétendent qu’elle était une des nombreuses maîtresses de Goebbels, qui serait même le père de sa fille née en 1944, et qu’elle aurait participé à une mission d’espionnage pour les nazis au Portugal. Finalement, la vedette sera disculpée (elle n’a tourné aucun film de propagande ni dénoncé qui que ce soit) et reprendra bien vite ses activités : shows pour les GIs, puis un film « Fregola » en Autriche dès 1948.
La sortie de ce film en France provoquera un esclandre (et l’incendie d’une salle de cinéma) de la part de résistants outrés de voir la star du cinéma nazie, refaire surface comme si de rien n’était. Cela ne l’empêchera pas de continuer de tourner dans de nombreux films (et pas mal seront distribués en France).
L’enfant du Danube (1950) sera son seul film en RDA : une réussite, à condition d’aimer les films opérettes : les décors sont léchés et les numéros dansés fort bien enlevés. A force d’aligner les remakes d’opérettes comme le Masque bleu ou Princesse Czardas, elle finit un peu par épuiser le filon, et La divorcée (1953) ne remporte pas le succès escompté.


Après un hiatus de quelques années, elle effectue un come-back très réussi, toujours épaulée par le désormais très âgé Georg Jacoby. Louchant du coté des musicaux hollywoodiens, doté d’une intrigue comique bien enlevée, les Nuits du Perroquet vert (1957) est un succès international et un triomphe an Amérique du Sud (l’affiche insiste bien sur la présence des blues bell girls). Dans un registre comique qui fait rarement dans la dentelle, mais assez efficace, Marika est très en forme dans Nuit d’avant première (1959) avec Louis Armstrong et le violoniste Helmut Zacharias. Elle n’a pas perdu son dynamisme avec l’âge : son numéro de poupée de chiffon malmenée dans tous les sens est vraiment réussi. Dans ce film, elle danse aussi un rock acrobatique des plus spectaculaires.


En 1962, Marika chante et danse avec Peter Alexander dans une adaptation très réussie de la Chauve souris. Le déclin du film musical en Allemagne et l’âge de la comédienne mettront fin à sa carrière au cinéma (30 ans en tête d’affiche, chose peu fréquente pour une artiste de films musicaux). Elle se tourne alors vers la télévision et la scène (Hello Dolly). En 1975, elle fait une remarquable performance (pour une dame de plus de 60 ans) dans un show en direct de Peter Alexander, où elle danse les claquettes puis tourbillonne avec un entrain incroyable (on remarque là que ces séquences de danse n’avaient pas besoin d’être triturées, coupées et filmées en plusieurs fois, comme c’était le cas pour certaines stars d’Hollywood, et qu’elle pouvait donner une prestation « en live » aussi impressionnante qu’à l’écran).
Dans les années 80, Marika fera un come-back à l’écran, aux coté d’anciennes gloires de son temps
dans une comédie qui lui vaudra un prix d’interprétation. La danseuse a dansé pour la dernière fois dans un show télévisé en 1997. Entourée de boys en smoking, coiffée d’une perruque et liftée, moulée dans une grande robe noire, le pas désormais un peu hésitant, il était difficile de lui donner un âge. L’ex-vedette des années 30 rêvait de vivre centenaire comme son vieux partenaire Johannes Heesters. Hélas, elle s’éteindra en 2004, à 90 ans, d’une crise cardiaque.

En somme, Marika Rökk fut probablement une des danseuses les plus douées du film musical européen. Si comme à toutes les vedettes du troisième Reich, on peut fortement lui reprocher d’avoir cautionné par sa présence un régime inqualifiable, son mérite aura été d’avoir distrait et égayé le public dans ces périodes troublées.


2 commentaires:

  1. Un blog absolument fabuleux, que je découvre avec délices (depuis celui de Tom Peeping) !... Félicitations pour votre admirable travail -- tant de posts, et aussi riches, en si peu de temps, cela tient de l'exploit !...
    Belle évocation de Marika Rökk (l'initiative est particulièrement originale, en France).
    Bref : je m'abonne, et vous inscris d'autor parmi mes favoris...

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  2. Tu sais BBjane, pour le moment je recopie des portraits que j'avais réalisé pour un forum sur le cinéma classique, ce qui explique que le blog soit si rapidement achalandé!
    Merci pour tes compliements qui me font très plaisir.

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