dimanche 1 mars 2009

Diahann Carroll, mannequin d'Hollywood




Lors des portraits consacrés à Bill Robinson et à Lena Horne, nous avons eu déjà l’occasion d’évoquer les difficultés des artistes noirs américains à Hollywood qui les confinait à des rôles secondaires. En abordant la carrière de la chanteuse Diahann Carroll, on pourra constater l’évolution des mœurs aux USA au cours des années 60-70 et la lente ouverture des studios de cinéma aux acteurs blacks.

Née en 1935 dans le Bronx, Diahann a la chance de grandir dans une famille aux conditions certes très modestes (son père est conducteur de métro, sa mère domestique), mais toujours aux petits soins pour leur fille : Elle assiste ainsi à de nombreux spectacles de Broadway dont « Anny get your gun » avec Ethel Merman, dont elle garde un souvenir ébloui. Tout en entamant des études à la « high school of performing arts » de Manhattan (immortalisée par le film et la série Fame), la jeune fille gagne son argent de poche en vendant des chapeaux, posant pour des magazines de mode pour les noirs comme Ebony, en participant à des concours de beauté et en chantant dans des night clubs.


Après avoir remporté un concours à la télévision, elle est immédiatement remarquée par un attaché de presse qui va très vite devenir « son mentor, sa seconde famille, son ami ». La même année, il lui trouve un premier rôle dans une opérette de Broadway dont la musique est du grand Harold Arlen (l’auteur d’over the rainbow, stormy weather…) et un rôle secondaire au cinéma dans Carmen Jones d’Otto Preminger : une chance inouïe pour une jeune artiste noire. Avouons qu’elle ne se fait guère remarquer dans ce film, horriblement attifée et coiffée, dans le rôle de la protégée de Pearl Bailey. Elle garde néanmoins un bon souvenir du tournage et n’aura pas à souffrir de l’autoritaire réalisateur, compte tenu de la modicité de son rôle.
Après son mariage avec le directeur de casting de l’opérette « House of flowers », Diahann poursuit sa carrière dans la chanson. Moulée dans de superbes robes de haute couture, elle interprète avec une voix puissante et de façon jazzy les grands standards de la chanson américaine (Cole Porter, Harold Arlen) dans un style très inspiré par Léna Horne.



En 1959, elle accepte à contrecoeur de jouer dans la version filmée de Porgy and Bess, l’opéra de Gershwin, toujours sous la houlette d’Otto Preminger. Certes, les chansons sont magnifiques, mais le réalisateur exige qu’elle soit doublée par une chanteuse d’opéra (pour se venger, elle enregistrera de son coté un 33 T avec les chansons, arrangées par André Prévin, dans son propre style de chanteuse de cabaret). En outre, l’histoire est bourrée de stéréotypes racistes. Cela dit, les chances pour une actrice noire de trouver un rôle sont fort réduites à l’époque : la preuve, la vedette du film, Dorothy Dandridge n’a pas vraiment profité du succès de Carmen Jones, 5 ans avant.
Lors du tournage, Diahann tombe amoureuse de l’acteur Sidney Poitier. Leur liaison houleuse durera quelques années. Elle joue à ses cotés dans Paris blues (1961), une comédie dramatique, sur fond de jazz (avec aussi Paul Newman) et chante brièvement dans Aimez vous Brahms (1961).

En 1962, Diahann est chosie par Richard Rodgers (sans Hammerstein) pour jouer dans son opérette « no string ». A la lecture du scénario, la brève histoire d’amour des personnages principaux n’a rien de bien original mais le casting l’est davantage : le rôle principal est confié à un acteur blanc, Richard Kiley : il s’agit donc d’une union interraciale, ce qui est révolutionnaire pour l’époque. Le show et sa chanson (the sweetest thing) seront couronnés de succès. La Warner Bros songe alors à adapter le film, mais sans Diahann Carroll. On lui préfère l’actrice d’origine eurasienne Nancy Kwan. Diahann sera particulièrement vexée, constatant qu’il n’était pas encore possible à Hollywood de parler de l’union d’un blanc et d’une noire (au final, le film ne se fera pas).
Pendant les années 60, Diahann enregistre plusieurs 33 T et est invitée régulièrement dans de nombreux shows télés où elle partage des duos avec Judy Garland, Sinatra…Cheveux décrêpés, faux cils interminables, robes design, elle offre une image incroyablement sophistiquée. Néanmoins, ce n’est pas une grosse vendeuse de disques et son succès n’égalera jamais celui de Shirley Bassey (plus charismatique), Eydie Gormé (dont la voix est plus puissante), Connie Francis (plus versatile), ni même de Vikki Carr, (dont elle est pourtant très proche vocalement) autres chanteuses à voix de « pop classique » de cette période.


Après un rôle de vamp dans un polar haletant « le crime, c’est notre business » avec Jim Brown, Diahann est engagée dans une série TV, Julia (1968). C’est la première fois qu’une artiste black est le personnage central d’un feuilleton (Bill Cosby n’était que co-vedette dans les espions). Cette petite sitcom, qui durera plusieurs saisons sera un très gros succès populaire. Une poupée Barbie (la première black) sera même créée à son effigie. Difficile de juger Julia, qui n’a jamais été diffusé chez nous. A force de vouloir être consensuel, il semble que ce feuilleton loupait souvent sa cible et n’était pas du tout réaliste. Dans un épisode, Julia découvre le racisme pour la première fois quand elle se rend compte que personne ne veut danser avec elle au bal…On a peine à croire que dans l’Amérique de l’époque, elle n’ait pas pris conscience du racisme avant !!! Très contrariée par l’image déformée et naïve que « Julia » donne de la communauté noire, Diahann finira par abandonner la série.
En 1974, John Berry, le fameux réalisateur de films noirs, victime du maccarthysme, propose à Diahann, un rôle à contre emploi. Enlaidie pour l’occasion, elle incarne Claudine, une femme seule élevant tant bien que mal ses 6 enfants dans un quartier pauvre de Harlem (sa fille de 15 ans est enceinte, l’un de ses fils vient d’être renvoyé de l’école) et qui refait sa vie avec un éboueur.
C’est un beau film, émouvant, très bien joué par Diahann, qui lui vaudra une nomination aux oscars (la première pour une actrice black dans un premier rôle).
Nous sommes alors en pleine vague « blacksploitation » et l’on peut constater sur les écrans les résultats des mouvements anti-racistes des années 60, avec l’apparition de nombreux acteurs blacks.
Pour la première fois dans un soap-opéra diffusé en prime time une artiste black : Toujours là pour essuyer les plâtres, Diahann Carroll est engagée pour jouer dans le feuilleton Dynasty, un succès mondial (un peu moins en France). On est à 1000 lieux de Claudine dans cet univers tape à l’œil. L’intrigue rocambolesque fait plus que frôler le ridicule (ah, cet épisode où Fallon est kidnappée par des extra terrestres…), mais il est sûr que pour beaucoup de gens, Diahann Carroll n’est connue que pour son rôle de l’arrogante Dominique Devereaux, l’ennemie jurée de Joan Collins. En outre, l’image ultra sophistiquée qu’elle avait développée dans les shows télé et les night clubs colle bien avec la série (dans laquelle, elle chante de temps en temps).

Depuis, Diahann Carroll a beaucoup joué dans des feuilletons (Grey’s Anatomy…) et des téléfilms, ainsi que dans des comédies musicales sur scène comme Sunset Boulevard d’Andrew Lloyd Weber, où elle reprend le rôle de Gloria Swanson.
Après de gros soucis de santé (cancer du sein) et des problèmes sentimentaux (plusieurs mariages dont un avec le talentueux crooner Vic Damone (l’étranger au paradis, Athena…)), tout semble aller pour le mieux pour elle. Elle soutient un site internet destiné à aider les victimes du cancer du sein et multiplie les apparitions sur le petit écran.
Comme l’a si bien dit Halle Berry, en recevant son oscar en 2002, Diahann de même que Lena Horne et Dorothy Dandridge (et chez les hommes Paul Robeson et Sydney Poitier) ont pavé la voie des artistes noirs actuels et permis à Whoopi Goldberg, Denzel Washington, Eddy Murphy, Angela Bassett et Lawrence Fishburne de pouvoir briller sur nos écrans.
Une belle artiste à redécouvrir aussi sur CDs (c’est en effet une excellente chanteuse)


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